samedi 25 juillet 2015

Couillonnades 2015 : La Régie de l’énergie devient une coquille vide

18 juillet 2015 – Source : Journal Le Mouton Noir

NDLR Ce texte de Bernard Saulnier poursuit l’analyse des enjeux énergétiques parue dans l’édition précédente du Mouton Noir sous la plume d’Évariste Feurtey.

Québec a annoncé le dépôt d’une nouvelle politique énergétique 2016-2025 à l’automne 2015. L’adoption « au bâillon », le 20 avril dernier, de la Loi 28 annonce que la discussion publique sur les enjeux énergétiques restera confinée au cosmétique. Cette Loi vient de faire de la Régie une institution réglementaire moribonde, réduite au statut de formalité administrative.

Cela relève d’une vision contraire à tous les principes qui avaient guidé le Législateur il y a 20 ans lorsque cette Régie de l’énergie fut créée. La politique énergétique du Québec soulignait alors que la Régie constituait « l’élément central de la nouvelle politique énergétique » du Québec et qu’elle répondait « à une nécessité […] de contre-expertiser de façon satisfaisante les demandes tarifaires d’Hydro-Québec 1, selon un mécanisme garantissant la transparence et la participation du public ».

La Loi 28 légalise aujourd’hui une arnaque tarifaire qui pénalisera un peu plus chaque année les abonnés d’Hydro-Québec. Rétroactivement à 2014, le Distributeur ne pourra plus reporter à des années ultérieures des volumes d’électricité patrimoniale qu’il n’aurait pas pu acheter du Producteur dans l’année tarifaire. Le premier mécanisme commercial capable de protéger les abonnés du Distributeur des prédations tarifaires du Producteur vient d’être trucidé. Et le bloc patrimonial se trouve détourné de son sens initial pour devenir une occasion de bénéfices juteux par le Producteur. Le ministre Leitão, parrain de la Loi 28, vient de spolier les principes d’une tarification efficace et équitable de l’électricité. Tentons d’y voir plus clair.

La Régie de l’énergie (1996-2015)

Un article de la Loi de 1996 créant la Régie de l’énergie reconnaissait la juridiction légitime d’un tel tribunal sur les activités de production d’Hydro-Québec; mais quatre ans plus tard, la Loi 116 abolissait cet article de la Loi sur la Régie de l’énergie, lui retirant tout pouvoir d’examen des impacts tarifaires des décisions d’investissements d’HQ-Production.

La Loi 116 instituait un bloc patrimonial de 165 TWh d’électricité hydraulique que le Producteur était tenu de réserver bon an mal an au Distributeur pour répondre aux besoins en électricité du marché intérieur du Québec. Ce bloc patrimonial était assorti d’un prix de vente, le tarif patrimonial, que la Loi 116 fixait à 2,79¢/kWh (pour un coût de revient de 2¢/kWh pour le Producteur).

La Loi 28 cautionne cette arnaque des abonnés québécois depuis 15 ans.

Depuis 2002, affranchi de tout examen public crédible du coût d’opportunité de ses investissements, HQ-Production a mis en service 4 254 MW de nouvelle capacité de production hydro-électrique; en 2014, ces mises en service ont généré 20 TWh d’électricité, par définition post-patrimoniale (sans les 8 TWh annuels du complexe de La Romaine).

Fin 2014, les 2 644 MW de capacité éolienne en service ont généré 6,8 TWh d’électricité post-patrimoniale destinée aux besoins du marché intérieur. Les trois-quarts (20/26,8 = 75 %) des surplus d’HQ sont donc attribuables à tous les nouveaux projets de production hydraulique post-patrimoniale engagés par HQP. Ce résultat est d’autant plus troublant qu’HQ continue de caresser de nouveaux projets hydrauliques en 2015 tout en feignant d’ignorer souverainement les avantages commerciaux que lui procure la complémentarité de la production éolienne intégrée au réseau pour l’exploitation commerciale de ses actifs hydrauliques. Pire encore, la société d’État ne se gêne pas pour chercher à imputer odieusement à la filière éolienne la responsabilité des « surplus » et des hausses tarifaires devant la Régie.

Radiographie d’une comptabilité opaque au sein d’un monopole d’état…

Le rapport annuel 2014 d’HQ indique que 68 % de tous les profits d’HQ, 3 380 M$, ont été captés par le Producteur: 2 298 M$, la meilleure année d’HQP. Le marché intérieur du Québec a généré les deux tiers des bénéfices du Producteur : 1 500 M$ dont 426 M$, proviennent de seulement 3 % des ventes post-patrimoniales du Producteur au Distributeur. Le détail de cette « performance » commerciale sur le marché intérieur mérite un détour.

En 2014, le Producteur a livré au Distributeur 159,6 TWh d’électricité patrimoniale et 5,9 TWh d’électricité post-patrimoniale. Le bloc patrimonial étant de 165 TWh, ce sont donc 5,4 TWh d’électricité patrimoniale qui sont restés dans les réservoirs du producteur. Il n’est pas sorcier d’imaginer que ces 5,4 TWh d’électricité patrimoniale « dormante » ont pu être vendus au Distributeur à titre d’ « électricité post-patrimoniale » durant la saison froide et qu’ils l’ont été préférablement durant les périodes de pointe où la marge bénéficiaire culmine. Ces ventes post-patrimoniales ont généré une marge bénéficiaire moyenne de 7,2 ¢/kWh, 11 fois celle tirée des ventes patrimoniales. Plusieurs centaines de millions de bénéfices ont donc pu être prélevés de la tarification des abonnés par le Producteur via un tour de passe-passe liés aux inventaires hydrauliques.

Par ailleurs, Hydro-Québec n’explique pas aux abonnés que les 6,8 TWh produits par l’éolien en service au Québec (une électricité post-patrimoniale achetée par le Distributeur et inscrite dans la base tarifaire en vertu de décrets gouvernementaux) ont permis au Producteur d’économiser dans ses réservoirs … 6,8 TWh de stocks hydrauliques qu’il peut revendre à sa guise, y compris sur le marché intérieur d’où il obtient une marge bénéficiaire nominale deux fois plus grande que sur ses marchés d’exportation.

Que de pareils bénéfices puissent être transférés ainsi dans les coffres du Producteur sans que ne soit jamais discuté à la Régie de l’énergie l’évolution de la gestion des stocks hydrauliques annuels du producteur vis-à-vis des besoins du marché intérieur, cela dit toute l’opacité du cadre commercial qui pervertit actuellement la tarification de l’électricité sur le marché intérieur du Québec.

La Loi 28 cautionne cette arnaque des abonnés québécois depuis 15 ans. Et comme la Régie reste dans l’impossibilité de procéder à des contre-expertises de manière crédible des tenants et aboutissants de la comptabilité hydraulique et des mécanismes de prix prévus par les ententes commerciales entre les unités d’affaires d’HQ au chapitre de leurs impacts tarifaires, le Législateur contrevient à l’esprit même de ce qui doit présider à une tarification efficace et équitable de l’électricité.

Des investissement planifiés en 2015 comme en 1970…

Naturellement, les surplus sont aussi tributaires d’une demande d’électricité québécoise qui plafonne depuis 10 ans. Les surplus récurrents qui figurent dans la dernière prévision d’approvisionnements du Distributeur 2013-2024 sont in fine le reflet d’une planification stratégique qui a négligé ces nouveaux apports énergétiques éoliens compétitifs. Ils amènent pourtant, comme d’autres technologies, une évolution bien réelle dans les modes de gestion de l’équilibre offre-demande sur son propre réseau tout en exigeant de reconsidérer les enjeux continentaux du secteur de l’énergie en matière d’évolution technologique du secteur électricité.

La tragédie, c’est de croire qu’HQ pourrait continuer de consacrer le meilleur de son avoir-propre à de futurs chantiers hydrauliques et de transport chimériques sans aucun examen public crédible du coût d’opportunité ni des énormes risques commerciaux, structurels et tarifaires de ces projets pharaoniques.

Et il ne faudra vraisemblablement pas compter sur la Régie pour corriger les dérives tarifaires que génère une comptabilité créative inscrite dans un mode de planification des investissements dogmatique devenu anachronique.

Vivement une Régie qui régit…Vivement une politique énergétique responsable pour le Québec…

Une société d’État qui possède le privilège de compter 8 millions d’abonnés captifs directs et indirects doit être soumise à une transparence tarifaire que seule une Régie indépendante peut garantir.

En 2009, la décision de construction du complexe de la Romaine par HQP a été prise sans aucun examen public crédible de la rentabilité commerciale ni du coût d’opportunité de ce projet en comparaison d’autres solutions fournissant un service comparable.

Tous les bénéfices accumulés par HQ continuent de servir exclusivement à engager de futurs chantiers hydroélectriques alors que les coûts en croissance accélérée de cette filière, la plus subventionnée au Québec, devraient normalement la disqualifier au profit des filières et technologies de la transition énergétique.

La justesse et la prudence d’une décision dépendent d’abord des conditions de la délibération. Les défis des changements climatiques imposent beaucoup plus d’audace que ce projet de gouvernance anachronique par lequel le Législateur prétend bâillonner les Québécois en réduisant la Régie de l’énergie à un théâtre d’ombres furtives.

Cela relève d’une vision contraire à tous les principes qui avaient guidé le Législateur.

Dans toutes les provinces voisines du Québec, dans tous les États voisins du Québec, on voit se mettre en place, activement, de nouvelles exigences législatives et réglementaires qui transforment radicalement la planification des investissements dans les réseaux énergétiques. Cette mouvance remet en question les investissements de production centralisée d’hier qui ne répondent plus ni à une croissance de la demande d’énergie qui plafonne partout sur le continent, ni aux défis colossaux qu’imposent les stratégies d’investissements vers une justice climatique responsable. La substitution des grandes centrales thermiques chez nos voisins prend la forme de portefeuilles énergétiques diversifiés où coopèrent des technologies d’efficacité énergétique, de production d’énergies renouvelables et de gestion active de la demande d’électricité. Cette diversification des options énergétiques est en marche sur tous les continents. Elle avance en force à travers des scénarios de déploiement qui offrent de nouvelles perspectives d’investissements en Distribution (technologies commerciales du côté de l’offre et de la demande de proximité) qui exploitent une diversité de technologies commerciales compétitives, fiables, flexibles, communicantes, sans menacer quelque exigence de fiabilité et de stabilité des réseaux de Distribution et de Transport. La mutation en cours force à redéfinir les cadres traditionnels de planification des investissements tant du côté de l’offre que de la demande.

Le temps d’exiger que l’avoir-propre d’HQ serve à autre chose qu’à perpétuer des scénarios d’investissements insoutenables est venu. Le temps pour les citoyens du Québec d’exiger des institutions dotées de l’indépendance essentielle pour assurer l’évolution normale des réseaux énergétiques québécois est venu. Si la nouvelle politique énergétique du Québec n’a pas l’audace de mettre en place des institutions publiques respectées parce que crédibles, tous les citoyens du Québec auront raté le train de la nécessaire transition énergétique.

1. Les divisions commerciales de la Société d’état Hydro-Québec (HQ) se nomment HQ-Production (HQP, le Producteur) , HQ-TransÉnergie (TÉ, le Transporteur), et HQ-Distribution (HQD, le Distributeur)

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