vendredi 10 juillet 2015

Nouveaux compteurs et vieux socles: des risques de surchauffe réels



9 juillet 2015 – Source : Journal Le Soleil

(Québec) Les socles dans lesquels sont branchés les compteurs de nouvelle génération peuvent ne plus être adéquats pour recevoir ces nouveaux appareils, selon des spécialistes interrogés par Le Soleil, qui croient que les porcelaines des embases auraient dû être vérifiées – et changées, dans bien des cas – pour que les installations soient parfaitement sécuritaires.

Un travail de maître électricien, qui demande autour de 600 $ pour chaque remise à neuf. Avec 3,8 millions de nouveaux compteurs à installer d’ici 2018, la facture, déjà évaluée à plus d’un milliard de dollars, aurait été infiniment salée pour Hydro-Québec.

Sauf que la société d’État rappelle que ce sont les clients qui sont responsables des embases et que l’entretien leur revient.

En entrevue au Soleil, samedi, un porte-parole d’Hydro-Québec, Serge Abergel, affirmait que «lorsque l’embase est défectueuse ou qu’il y a dégradation, il peut y avoir ce qu’on appelle des points chauds» et des risques d’incendie. Selon Hydro-Québec, le client peut, dans la très grande majorité des cas, percevoir lui-même certains signes avant-coureurs de ces points chauds comme des interruptions de courant de très courte durée ou des variations d’intensité dans l’éclairage.

Un maître électricien interrogé par Le Soleil explique que les «clips» des socles dans lesquels sont branchés les compteurs intelligents peuvent être «lousses». «Les anciens compteurs étaient branchés là depuis des années. Avec le temps, la chaleur due à la tension ou au voltage a fait prendre de l’expansion aux clips en métal de l’embase, de sorte que quand on branche un nouveau compteur, il y a un espace [entre les parties mâle et femelle]. Et quand il y a un lousse, ça finit par faire un arc électrique», explique le spécialiste qui a préféré garder l’anonymat.

Le maître électricien est formel : il aurait fallu que ces embases soient changées ou remises à neuf avant qu’Hydro-Québec procède à l’installation de nouveaux compteurs. L’expert est convaincu que les problèmes de «points chauds» qui surviennent fréquemment ne se produiraient pas si les anciens compteurs étaient restés dans leur embase.

Un autre spécialiste qui a lui aussi préféré taire son identité voit la même chose. «Quand c’est mal branché et qu’il y a un lousse, il y a une résistance qui se crée, et cette résistance crée de la surchauffe», résume-t-il, ajoutant que les installateurs d’Hydro-Québec et de son mandataire Capgemini ne font peut-être pas tout ce qu’il faut pour s’assurer que les compteurs sont branchés de façon sécuritaire. «Il y en a combien qui clippent, pis qui repartent même si c’est mal clippé?» s’interroge notre source, qui se demande aussi si l’épaisseur des parties mâles des nouveaux compteurs est adaptée aux parties femelles des socles. «Et est-ce que la technologie [des nouveaux compteurs] est à point? Ça non plus, on ne le sait pas», réfléchit-il encore.

Samedi, le porte-parole de la société d’État affirmait que si l’installateur soupçonne la présence de points chauds dans l’embase, une note est inscrite au dossier, et la société d’État communique avec le client pour l’en informer et lui demander de faire inspecter rapidement ses installations.

Il semble que cela n’ait pas été fait partout, puisque sur les 3,3 millions de compteurs de nouvelle génération branchés jusqu’à maintenant, Hydro aurait répertorié des points chauds dans au moins 500 installations.

«Sous tension»

On a également porté à notre attention le fait que les nouveaux compteurs sont branchés «sous tension», c’est-à-dire sans que l’électricité ait été coupée à partir du main breaker du propriétaire. Une méthode de travail susceptible de provoquer des arcs électriques et d’endommager les points de contact, entraînant éventuellement un problème de surchauffe. Et qui pourrait au surplus s’avérer dangereuse pour l’installateur, selon notre maître électricien.

Du reste, pour «entretenir» son embase, comme le prescrit Hydro-Québec, il faut impérativement retenir les services d’un professionnel de l’électricité. «Il y a un scellé sur l’embase, et seules les personnes autorisées peuvent l’ouvrir, ce qui implique notamment de couper l’électricité à la source», explique notre maître électricien, qui évalue le travail à près de 600 $, en incluant le coût de remplacement de la porcelaine de l’embase.

L’«entretien» de l’embase électrique relève peut-être du client d’Hydro (et ce, même si elle n’est destinée à rien d’autre qu’à recevoir un compteur), mais si le nouveau compteur (que le client n’a pas demandé) a été installé sur un socle dégradé, qui est responsable lorsqu’il y a surchauffe? Le client ou Hydro (ou son sous-traitant)? Le Soleil a tenté au cours des deux derniers jours d’obtenir ces réponses – et d’autres sur la formation des installateurs, entre autres – auprès de la société d’État, sans succès.
Les compteurs en bref…

De la responsabilité des embases électriques

En vertu de la Loi sur le bâtiment, la réglementation concernant le domaine de l’électricité est contenue dans les chapitres «électricité» du Code de construction et du Code de sécurité du Québec. C’est la Régie du bâtiment du Québec qui a la responsabilité de s’assurer de la sécurité des installations électriques. Que pense donc la Régie de la position d’Hydro-Québec, selon qui ce sont les embases électriques des propriétaires qui causent des problèmes de «points chauds», et non les compteurs eux-mêmes? À la lumière d’informations voulant que le changement de compteurs puisse être à l’origine de problèmes de surchauffe, quelle serait la part de responsabilité d’Hydro, selon la Régie? Nous avons posé la question à son porte-parole, Sylvain Lamothe, mais celui-ci n’était pas en mesure de nous répondre au moment d’écrire ces lignes.

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Comme allumer ou éteindre une lampe…

Dans la section Foire aux questions de son site Web, Hydro-Québec affirme que le fait de brancher ou de débrancher un compteur ne cause pas de surtension. «On ne fait qu’interrompre le courant très brièvement pour remplacer le compteur en toute sécurité. L’opération est simple et équivaut à allumer ou à éteindre une lampe, par exemple», assure la société d’État. Cependant, ajoute-t-elle, un bris pourrait survenir dans deux rares circonstances indépendantes des activités d’Hydro-Québec, soit «s’il y a un problème existant dans l’installation électrique du client ou si des appareils électriques sont plus sensibles ou présentent déjà une faiblesse au moment du remplacement du compteur».

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À propos de Capgemini

C’est à la compagnie Capgemini Québec qu’Hydro-Québec a confié le contrat d’installation des compteurs de nouvelle génération. La filiale québécoise de la société franco-suisse avait fait parler d’elle en 2011 après que le canal Argent eut appris que le sous-traitant d’Hydro entreposait les compteurs dans une bâtisse appartenant à une compagnie à numéro liée au clan Rizzuto. Capgemini est aussi à l’origine de la réforme du nouveau service informatique destiné à la clientèle d’Hydro-Québec, un projet dont les coûts avaient gonflé en quelques années, passant de 270 millions $ à plus de 500 millions $.

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Des liens remis en question

Les liens entre Richard Lassonde, régisseur retraité de la Régie de l’énergie qui a autorisé le déploiement des compteurs de nouvelle génération, Thierry Vandal, pdg démissionnaire d’Hydro-Québec, et George Abiad, grand responsable, lui aussi démissionnaire, de l’implantation des appareils, ont souvent été remis en question par les opposants aux compteurs intelligents. Tous trois ont travaillé chez Gaz Métropolitain dans les années 80 et 90, et MM. Vandal et Lassonde sont des amis proches. Les démissions à quelques jours d’intervalle de MM. Vandal et Abiad, de même que celle de la numéro 2 d’Hydro, Marie-José Nadeau, étaient-elles liées aux multiples controverses dans le dossier des compteurs intelligents? La société d’État l’a toujours nié.

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Un mot sur les compteurs de Landis+Gyr

La technologie retenue par Hydro-Québec est celle de la compagnie suisse Landis+Gyr, dont les compteurs n’ont pas la mention de certification CSA (pour Canadian Standards Association). Hydro-Québec assure que cette technologie est fiable et qu’aucun compteur installé depuis 2013 n’a causé d’incendie. La société d’État est donc bien loin d’emboiter le pas à la Saskatchewan et à l’Ontario, qui ont ordonné le retrait de milliers de compteurs intelligents de marque Sensus en raison des risques de surchauffe et d’incendie liés à ces appareils.

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