lundi 1 juin 2015

Le grand méchant loup électromagnétique

31 mai 2015 – Source : La Presse

(Québec) «Il y a quelques [mois], nous avons reçu une lettre d’Hydro-Québec, qui nous informait que notre secteur allait bientôt recevoir les compteurs «intelligents». Au cours des deux ou trois dernières années, il s’est écrit beaucoup de choses sur l’innocuité et la fiabilité de ces nouveaux appareils de lecture à distance. Certains citoyens n’y voient aucun problème. D’autres, au contraire, se plaignent, à tort ou à raison, de divers problèmes de santé. Pourriez-vous faire le point?» demande Pierre Mercier, de Québec.

Ça tombe bien, puisque Laurent Aubé, lui aussi de Québec, nous envoie essentiellement la même question: «Je prends l’initiative de faire appel à vos intéressantes rubriques scientifiques pour me rassurer de la sécurité des antennes de téléphones cellulaires, installées sur le toit de notre résidence de six étages. Ces rayons sont-ils absorbés par les murs de ciment, de sorte qu’à l’inverse du carré de la distance, nous serions mieux protégés au rez-de-chaussée qu’au sixième étage?»

Il s’agit là d’une question à laquelle nous avons déjà répondu dans cette rubrique, mais, l’actualité étant ce qu’elle est, ces histoires ressurgissent périodiquement sur les radars médiatiques et continuent de semer (bien inutilement) l’inquiétude. Alors, revenons-y, puisqu’il le faut…

Les radiofréquences ou les micro-ondes grâce auxquelles les cellulaires et les compteurs intelligents communiquent sont des «ondes électromagnétiques», c’est-à-dire de l’énergie électrique et magnétique qui se propage dans l’espace un peu comme une vague à la surface de l’eau. Et il n’y a rien là, en soi, de bien exotique: la lumière que nos yeux perçoivent et les infrarouges que le corps humain irradie en permanence à cause de sa température sont d’autres exemples d’ondes électromagnétiques.

Certaines de ces ondes, disons-le, sont connues pour avoir un effet cancérogène – nommément les ultraviolets, les rayonsX et les rayons gamma (émis par la radioactivité). Ces trois types de rayonnement, en effet, transportent une énergie particulièrement intense, à tel point qu’ils sont capables d’arracher des électrons aux atomes et de briser les liens chimiques qui tiennent ensemble les atomes d’une molécule. Dans une cellule, cela peut endommager directement l’ADN, ou bien produire des radicaux libres qui vont réagir chimiquement avec le matériel génétique – ce qui, à terme, peut dérégler une cellule saine et la transformer en cellule cancéreuse.

Pas assez d’énergie

Cela dit, cependant, les ondes émises par les cellulaires, leurs tours et les compteurs d’Hydro-Québec ne contiennent pas assez d’énergie pour cela – elles sont grosso modo un million de fois moins énergétiques. Or, il est généralement admis qu’il faut une forme ou une autre de dommage à l’ADN pour qu’une tumeur apparaisse, et les cellulaires/tours n’en causent manifestement pas.

Maintenant, on peut toujours imaginer qu’il y a d’autres manières par lesquelles les ondes électromagnétiques pourraient causer le cancer. Et, pour tout dire, il est vrai que, d’une part, on ne sait pas tout, et que, d’autre part, il existe des facteurs hors de l’ADN qui peuvent favoriser l’apparition de cancers – en encourageant la croissance des tumeurs, par exemple.

Mais voilà, on a fait des tonnes d’études sur cette question depuis 30 ans et on n’a toujours rien trouvé qui ressemble à une preuve d’un lien entre les radiofréquences et le cancer. Il y a bien eu l’étude Interphone, qui a fait beaucoup de bruit en 2010 parce que c’était la plus grande jamais entreprise. En comparant l’usage du cellulaire chez un groupe de gens ayant un cancer du cerveau et un autre de sujets sains (5000 personnes au total), cette étude a trouvé: 1) que, dans l’ensemble, il n’y avait aucun lien entre le cancer du cerveau et l’utilisation du cellulaire, mais que 2) les 10 % qui parlaient le plus longtemps sur leur téléphone portable semblaient avoir un risque 1,4 fois plus grand de développer un gliome – une forme de cancer du cerveau. Quelques mois plus tard, d’ailleurs, l’Agence internationale de recherche sur le cancer (à l’origine d’Interphone) avait classé les radiofréquences comme «possiblement cancérogènes».

Les activistes qui s’opposent au déploiement des compteurs intelligents font grand cas de cette catégorisation. Or elle ne signifie rien de plus que dans l’état actuel des connaissances, il demeure possible qu’un risque existe, mais que le niveau de preuve est faible. En outre, l’étude Interphone a été critiquée pour des biais probables qui ont pu en fausser les résultats, et une analyse plus fine a trouvé par la suite que les endroits dans le cerveau où les gliomes avaient été décelés n’étaient (statistiquement) pas ceux qui étaient les plus exposés aux radiofréquences.

Aucune preuve

En outre, de manière générale «les études sur des cellules, des animaux et des humains n’ont jusqu’à présent fourni aucune preuve montrant que l’énergie des radiofréquences peut causer le cancer», lit-on sur la page Web (très complète et éclairante, d’ailleurs) que consacre l’Institut américain sur le cancer à cette question. Mentionnons aussi que malgré l’augmentation fulgurante de l’usage du cellulaire et du nombre de tours depuis le début des années 90, des études menées aux États-Unis et en Scandinavie n’ont trouvé aucune hausse des cancers du cerveau dans ces pays.

Enfin, bien qu’un certain nombre de gens attribuent aux radiofréquences toutes sortes de symptômes (habituellement très génériques), il faut aussi savoir que des études menées en laboratoire, où des «électrosensibles» étaient exposés à des ondes électromagnétiques, n’ont pas réussi à déclencher leurs symptômes. Cela ne veut pas dire que leurs souffrances ne sont pas réelles, mais il est très douteux qu’elles soient causées par des cellulaires, des tours ou des compteurs.

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