jeudi 11 juin 2015

Peut-on dépolitiser Hydro-Québec?

10 juin 2015 – Source : La Presse+

Le plus grand défi qu’aura à relever le nouveau PDG d’Hydro-Québec, Éric Martel, ne sera pas de combler son inexpérience des questions énergétiques après une carrière dans un tout autre univers chez Bombardier, celui de l’aviation. Son défi sera plutôt d’apprivoiser un autre univers, qui n’est pas non plus le sien : celui de la politique.

Hydro-Québec est en effet une société d’État dont les choix et les orientations sont fortement politisés, beaucoup plus, par exemple, que l’autre grande société d’État, la Caisse de dépôt et placement (CDP). Ce sont des contraintes avec lesquelles le prédécesseur de M. Martel, Thierry Vandal, composait fort bien, car il avait développé une maîtrise des réalités politiques comme président de la commission politique du Parti libéral du Québec.

Hydro-Québec et la CDP ont de nombreux points communs. Deux sociétés d’État gigantesques, dont les rapports complexes avec le gouvernement tiennent largement au fait qu’en plus de leur mandat de base, elles ont aussi pour mission d’être un levier économique, ce qui nourrit la tentation constante des gouvernements de se servir d’elles comme outil de développement et de promotion politique.

La Caisse dispose toutefois de mécanismes de protection pour réduire ces pressions. Elle peut évoquer la nécessité de satisfaire des clients identifiables, les organismes dont elle gère les épargnes, qui exigent des comptes. En outre, son mandat principal, faire fructifier les épargnes qui lui sont confiées, est mesurable et soumis au test de la comparaison dans un environnement concurrentiel. Son indépendance est d’ailleurs reconnue de façon formelle, même si cela cache parfois une réalité plus complexe.

Ces garde-fous n’existent pas dans le cas d’Hydro-Québec. Elle a bien sûr des clients, les citoyens usagers, moins bien équipés pour établir des rapports de force, surtout qu’ils sont les mêmes clients que ceux du monde politique. Mais surtout, ses profits apparaissent dans les résultats budgétaires du gouvernement, ce qui crée un système de vases communicants. Le gouvernement peut par exemple exiger des compressions à Hydro pour réduire son propre déficit ou être tenté d’augmenter les tarifs pour améliorer son bilan.

Ces liens de proximité facilitent la tendance des gouvernements d’imposer à Hydro des choix économiques qui affectent ses résultats, comme les rabais tarifaires aux grands utilisateurs, ou encore les achats à gros prix d’énergie éolienne.

C’est l’impératif de se protéger contre ces pressions qui, à mon avis, expliquent en bonne partie la culture d’opacité d’Hydro-Québec, une forme de résistance passive qui lui sert de rempart.

M. Martel dispose toutefois de quelques atouts qui l’aideront dans la définition des frontières entre la société d’État et son actionnaire unique. Le premier, c’est sa promesse, dès l’annonce de sa nomination, de maintenir des tarifs « raisonnables » autour de l’inflation, avec l’appui très clair de son ministre de tutelle, Pierre Arcand, qui se dit mal à l’aise avec les hausses actuelles. Personnellement, je trouve que ces tarifs bas sont une erreur tant pour les finances publiques que pour les politiques énergétiques, mais manifestement, aucun des trois grands partis ne veut remettre cela en cause. Cependant, c’est une pression de moins pour Hydro.

L’autre chose qui va aider M. Martel, c’est le changement de vocation inévitable d’Hydro-Québec. Depuis sa création, sa mission première a été de produire de l’électricité et sa culture en a été une de constructeur de barrages. Avec les surplus qui seront là pour longtemps, cette période tire à sa fin. Sa mission première deviendra davantage celle d’un distributeur, ce qui impose un virage client dont le nouveau PDG veut être porteur. Il deviendra beaucoup plus clair qu’Hydro-Québec est au service des Québécois plutôt qu’au service du Québec, ce qui lui donnera un autre outil pour résister aux pressions gouvernementales.

> Lire la nouvelle en ligne sur le site de La Presse+